"Journal ukrainien" de Boris Mikhailov

Les événements liés à la culture russe (au sens large du terme) se font hélas rares depuis février dernier, saluons d’autant plus la formidable exposition de photos de Boris Mikhailov à la Maison Européenne de la Photographie (MEP) jusqu’au 15 janvier 2023.

Né en 1938 à Kharkiv (Ukraine), Boris Mikhailov est ingénieur de formation et devient photographe presque par hasard : le KGB ayant découvert des photos de nu de son épouse prises avec du matériel de son usine, il est renvoyé et décide alors de faire de la photographie son métier, sa vie. Et il a ainsi exploré depuis les années 60 nombre de domaines photographiques, du documentaire à la photo conceptuelle en passant par la satire ou la performance personnelle. Ce faisant, il expérimente toutes sortes de techniques et multiplie les astuces pour pallier au manque de moyens matériels.

Série Luriki (portraits soviétiques colorisés), 1971-1985 © Boris Mikhailov. Collection Pinault.

Avec 800 clichés et une projection vidéo, l’exposition « Boris Mikhailov – Un journal ukrainien » retrace chronologiquement ce parcours de l’URSS à l’Ukraine contemporaine en passant par la période mouvementée des années 90. A ses débuts, dans les années 60-70, Boris Mikhailov documente gens et évènements officiels dans la rue, mais en profite aussi pour coloriser ces photos avec des couleurs kitsch et mieux dénoncer l’univers artificiel qu’est pour lui l’URSS.

Il superpose aussi des clichés pour les fusionner et créer des images aussi poétiques que surréalistes, très « hippie » dans l’esprit. Avouons même que la projection à la MEP de ces images sur fond de musique du Pink Floyd (Dark side of the moon) est notre moment préféré…

Série Yesterday’s Sandwich, 1966-68, © Boris Mikhailov, VG Bild-Kunst, Bonn.

Boris Mikhailov verse aussi dans la performance. Il réalise par exemple son autoportrait en uniforme avec de fausses décorations, ou des clichés de ses vacances en Crimée où lui, son épouse Vita et leurs amis jouent à être des bourgeois. De façon plus controversée, ils se mettent aussi en scène pour interroger le rôle des Ukrainiens sous l’occupation allemande pendant la 2ème Guerre mondiale.

Série National Hero, 1991 © Boris Mikhailov, VG Bild-Kunst, Bonn.

Série Case History, 1997-98 © Boris Mikhailov, VG Bild-Kunst, Bonn

Dissident dans l’âme, Boris Mikhailov le reste dans les années 90 où il s’attache à montrer les difficultés de l’époque en photographiant les marginaux, les laissés pour compte de la transition vers le capitalisme. Des photos crues, volontairement provocantes qui ne laissent pas indifférent.

Dissident dans l’âme, Boris Mikailov est maintenant reconnu comme un des grands photographes de notre époque. « Journal Ukrainien » est un rendez-vous à ne pas manquer.

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